Francis Jordane, retour sur une carrière entre Strasbourg et l’équipe de France
Avant Vincent Collet, un autre sélectionneur national était passé par la SIG. Cadre Technique dans le Haut-Rhin et le Bas-Rhin entre 1969 et 1982, Francis Jordane a connu une montée en Nationale 1 (actuelle Jeep Elite) à 28 ans, avant de voir son parcours l’amener jusqu’en l’équipe de France dont il fut sélectionneur entre 1986 et 1993.
Des débuts comme joueur
Le basket, j’ai commencé à y jouer sur un concours de circonstances, dans un contexte compliqué. J’ai pratiqué le rugby à mes débuts, mais mes parents ne voyaient pas cette pratique d’un bon œil. J’avais aussi un faible pour le basket, j’assistais aux matchs de l’équipe de mon village, alors c’est vers ce sport que je me suis replié. J’ai d’abord joué à Arles sur Tech. En cadets, à 16 ou 17 ans, je suis parti à Toulouse pour mes études, une vraie région de basket qui avait une équipe évoluant en première division. J’avais de bonnes capacités techniques et j’ai pu rejoindre la sélection régionale Midi-Pyrénées. Deux ans plus tard, je suis parti en Alsace. J’ai d’abord joué à Mulhouse, mais comme l’entraînement me plaisait plus, j’ai très vite commencé à coacher. Des équipes de jeunes, tout d’abord, puis une équipe Seniors en nationale 3. Ils étaient tous plus âgés que moi et j’ai trouvé ça passionnant. Le jeu, c’était ludique mais l’entrainement me permettait d’associer d’autres facettes du jeu, j’ai donc passé mes diplômes et c’est devenu une vraie passion pour moi.
L’Alsace, sa nouvelle maison
J’ai voulu rejoindre Strasbourg. Le côté basket a été important. Après avoir rejoint Toulouse, revenir sur Arles-sur-Tech aurait été un pas en arrière, alors que l’Alsace est une région basket importante. Il y a un niveau de base de l’élite qu’on n’a pas dans toutes les régions. J’ai trouvé ici un environnement favorable pour pouvoir exprimer tout ce que j’avais à dire sur le basket. Le Cadre Technique doit faire évoluer la pratique du basket avec toutes ses composantes : détection, formation des jeunes et moniteurs… J’avais un lien aussi avec la formation des arbitres. On l’isole trop souvent de la technique, alors que c’est lié.
J’étais impressionné en arrivant ici. Je n’avais pas ressenti cela à Toulouse, tout le cœur que mettent les Alsaciens dans la pratique du basket. Je retrouvais une identité du basket, une ferveur. La passion était même au niveau des dirigeants pour qui le basket représente beaucoup de choses. Il y avait du retour, du répondant. Lors des stages, les parents et dirigeants accompagnaient les enfants. Ils s’intéressaient à la formation des jeunes, et c’était pour moi encourageant. Je ne me sentais pas isolé. J’avais ce retour qui m’encourageait à poursuivre dans cette voie. Mon passage en Alsace a été très marquant pour moi.
« Je n’ai pas arrêté de jouer tôt, mais commencé à entraîner tôt »
Mon côté joueur m’a aidé pour la suite de ma carrière. Malgré tout, j’avais vite fait le tour de ce côté-là. Ça m’intéressait moins, j’avais plus d’attirance pour la fonction d’entraîneur. Mais d’avoir senti le jeu m’a permis d’enseigner l’activité avec une connaissance pratique. Sans ça, je ne concevais pas de pratiquer le métier d’entraîneur. La directrice de mon école maternelle, quand elle a vu mon parcours, disait à ma mère qu’elle n’était pas étonnée par mon parcours. Dès mon plus jeune âge, j’étais rassembleur, leader. J’organisais les jeux avec mes camarades. C’était certainement une passion enfouie, que j’ai développée ensuite.
J’ai beaucoup aimé le mental alsacien, cette rigueur, cette franchise. Le premier ou deuxième été, j’organisais des stages, comparables aux camps aujourd’hui. J’organisais ces camps à Arles-sur-Tech. Et pendant 45 ans, tous les étés, il y avait ces stages organisés dans le sud de la France. La différence avec les camps, on s’entraînait techniquement, mais nous nous formions aussi sur les feuilles de matchs, l’arbitrage, l’entraînement des jeunes. Aujourd’hui, c’est uniquement la pratique technique.
Un pionnier à la SIG
Pendant 10 ans, j’entraîne la SIG, le club porte-drapeau du basket alsacien. Les structures au niveau de la SIG étaient absentes. On fonctionnait en première division comme en championnat départemental. Le fond stratégique et le fonctionnement étaient archaïques. Les joueurs n’étaient pas disponibles tous les jours. On s’entraînait le soir après le travail, deux fois par semaine, et je reprenais les Américains, qui étaient là pour leurs études, une ou deux fois supplémentaires. Les voyages se faisaient en train, en deuxième classe. Tout était adapté aux conditions financières des clubs. Je nous considérais toujours comme des pionniers.
Hugues Occansey, des poussins à l’équipe de France
Hugues Occansey, je l’ai entraîné en poussins à la SIG, puis plus tard en équipe de France. C’était un cas unique en France, d’avoir eu un joueur dans ces deux catégories. C’était pareil avec son frère, Eric. A la SIG, j’entrainais l’équipe première et les poussins, car je ne voulais pas me couper de la base. J’estime que je devais intervenir pour donner des bases aux jeunes, mais aussi aux entraîneurs. On ne le voit plus maintenant, mais à l’époque j’ai pu le faire. C’était mon devoir de m’occuper d’eux. Aujourd’hui encore, quand je croise Hugues, nous en parlons. C’était quelque chose d’extraordinaire.
Strasbourg, le tremplin vers les Bleus
L’équipe de France, elle n’est pas arrivée du jour au lendemain. Après Strasbourg, on m’a demandé d’aller à Montpellier m’occuper des juniors nationaux. Je pense que cette nomination s’est construite lors de mon passage à Strasbourg. Successivement, que ce soit avec les minimes, filles et garçons, les cadets ou les espoirs, j’ai été champion de France. Quand tu joues les phases finales, tu te fais remarquer et arriver à ce niveau prouve que le travail effectué est intéressant. Je commençais à être reconnu au niveau de la formation et j’avais à charge certains juniors de la SIG, comme Daniel Hacquet, Greg Beugnot, Philippe Sauret ou Michel Brenner. Des noms qu’on a retrouvé sur la scène nationale plus tard. Tout ceci m’a permis de rejoindre tout d’abord les juniors, les espoirs (A’), d’être ensuite adjoint en EDF avec Jean Luent, puis Jean Gall, avant d’en prendre la tête. Mais tout s’est construit en Alsace.
A 28 ans, quand nous sommes montés en première division, j’étais l’entraîneur le plus jeune. Être reconnu, demandé, c’était gratifiant. Et je suis parti car on me proposait l’équipe de France juniors. J’accédais à un autre niveau, donc j’ai accepté. Mais quitter l’Alsace ne m’a pas laissé indifférent. J’ai construit ma famille ici.
Dix ans d’équipe de France
En équipe de France, j’ai connu de très bons souvenirs, comme des moins bons. Mais ceux-ci étaient liés à des problèmes avec quelques dirigeants qui ont mis un terme à mes fonctions. J’ai été freiné dans mon élan, mais l’EDF a été, et reste, un tremplin merveilleux. L’histoire est belle et difficile à la fois. De mémoire, j’ai sélectionné 55 joueurs au total, et je ne me souviens pas d’un problème avec eux. J’entretiens aujourd’hui encore de très belles relations avec mes joueurs. Quand nous avons fonctionné ensemble, quand on fait le bilan, il y a toujours cette ferveur et amitié qui sont durables. J’ai aussi profité de l’avantage d’avoir pu connaître plusieurs de mes joueurs lors des passages en juniors ou A’. Dans cette aventure, je retiens le côté humain qui a été très fort.
Un retour à Mulhouse en 1993
Quand j’ai terminé mon contrat national, j’ai rejoint Mulhouse. J’avais toujours cette attirance pour l’Alsace. Mais ce n’était pas pareil, j’étais revenu en tant que professionnel, comme le club et les structures l’étaient devenus. Les conditions d’entrainement étaient faciles et confortables. Tout l’environnement professionnel se mettait en place. Je venais ajouter ma touche personnelle, mais je n’intervenais pas en dehors du sportif. Malheureusement cela s’est terminé au bout d’un an car le club a connu des difficultés. Au niveau départemental, j’intervenais dans des petits clubs dans le Haut-Rhin. J’ai retrouvé ce que j’avais quitté il y a 10 ans. Je n’ai pas senti de différence et tout ça dans un bon climat. Il y avait la curiosité de me retrouver. C’était différent dans le sens où un entraineur national revenait. Je pensais rester quelques années, aider Mulhouse à retrouver le plus haut niveau. Il faut reconnaître que l’Alsace a un niveau de pratique plus élevé que dans d’autres régions, surtout au niveau des jeunes. On ne le retrouve pas partout.
Jimmy Hayes, Norris Bell et Stéphane Ostrowski
Durant mes nombreuses années en tant qu’entraineur, plusieurs joueurs m’ont marqué. A Strasbourg, ce fut Jimmy Hayes, malheureusement décédé aujourd’hui. Techniquement, il était incroyable, mais c’est le joueur dans son ensemble qui était extraordinaire. C’était un exemple dans tous les domaines. J’en ai également connu un autre, à Mulhouse cette fois, Norris Bell. Lui, c’est comme Jimmy, je les cite en exemples. Sur le terrain, ils payaient de leur personne et en dehors, ils avaient d’excellents rapports, avec le coach ou les autres joueurs.
D’une manière générale, j’ai toujours suivi le parcours et les joueurs que j’ai coachés. En équipe de France, j’ai pu entraîner Stéphane Ostrowski, qui est aujourd’hui devenu un ami. Lorsqu’il a eu des difficultés, je l’ai aidé, j’ai pris des positions fermes pour le soutenir et je me suis investi pour lui. En tant que joueur et malgré presque 200 sélections avec les Bleus, il a toujours été exemplaire dans son attitude.
Le recrutement des joueurs US dans les années 1970
Les années 1970, c’était le début des agents. D’abord, nous prenions des renseignements statistiques, comme l’adresse, les rebonds ou les passes. Nous avions aussi des films fournis par les agents. Cela se faisait comme cela, car les moyens n’étaient pas aussi importants qu’aujourd’hui. La seule chose qui n’était pas mise en évidence, c’est le mental et la personnalité des joueurs. La façon de se comporter sur et en dehors du terrain. On l’avait d’une manière sporadique, et pas toujours très fiable. Aujourd’hui, il y a moins de sources d’erreur, mais ça existe toujours.
D’une manière générale, je n’ai pas connu de mauvaises surprises. De toute façon, on ne pouvait pas changer les joueurs comme cela à l’époque. Il y a avait trop de frais, donc on évitait ce type de problèmes. On faisait avec, on composait, quitte à se réunir avec le joueur, parfois avec des interprètes pour lui faire comprendre ce que nous attendions de lui. C’était, une autre époque.
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