Adam El Ghazi, de la NM1 aux competitions continentales (2/2)
Dans ce second épisode, Adam El Ghazi (pivot, 2m06, 24 ans) nous raconte sa découverte du monde professionnel en Alsace, puis son parcours en Afrique. Retrouvez le premier épisode ici.
Basket Club Souffelweyersheim : Le premier contrat professionnel
« Après cette grosse saison en Espoirs, mon agent m’a évoqué plusieurs possibilités. Stéphane Eberlin, l’entraîneur du BCS, était le seul à me proposer un projet sur deux ans. J’ai eu aussi des propositions de clubs de Pro B, mais je ne me voyais pas jouer le rôle du U23 en bout de banc avec un contrat d’un an. J’allais peu jouer et ce serait ensuite compliqué pour moi de retrouver un club. » Adam débarque donc en Alsace à l’aube de la saison 2016/2017. « Je ne connaissais pas du tout cette région, même si j’avais deux amis, Guillaume Plas et Julien Sauter, qui m’en avaient beaucoup parlé. Le jour de mon emménagement, je viens avec ma mère, je m’étais un peu renseigné sur internet, mais cela reste très vague. En arrivant, parisien que je suis, j’ai été choqué par le calme et la taille de la ville ! »
Lors de cette première saison en professionnel, il arrive dans un groupe soudé de revanchards, ce qui lui permet de passer un palier. « On n’était pas du tout attendu donc on voulait vraiment créer la surprise. Plusieurs joueurs mettaient une très grande intensité à l’entrainement, comme Ruphin Kayembe ou Fabien Ateba. On avait les crocs, on se surnommait les pirates. Elson Mendy m’a beaucoup aidé cette année-là. Il m’a permis de réellement devenir professionnel, c’était une sorte de grand frère. J’ai eu quelques écarts, en dehors et sur le terrain, j’étais encore jeune, il m’a fait prendre conscience des comportements à adopter et comment adapter mon niveau Espoirs au niveau, bien plus physique, de Nationale 1. Il m’a fait prendre conscience que ce n’est pas parce que j’ai signé un contrat professionnel que je suis arrivé. Il fallait que je travaille et que je gagne des minutes en démarrant au plus bas de l’échelle. »
Sur le terrain, il sort du banc pour offrir une rotation intérieure à Stéphane Eberlin (5,42 points, 2,67 rebonds en 13 minutes). « Stéphane est un très grand coach défensif, il m’a beaucoup appris. Je devais mériter chacune de mes minutes, pour ça il fallait que je sois excellent en défense. En plus, avant moi, il avait eu de gros joueurs défensifs à mon poste, comme Jérôme Cazenobe ou Jacques Alingué. À l’époque, j’étais un vrai poste 5, j’avais plusieurs moves sur le poste bas. Stéphane m’a permis d’acquérir un petit shoot poste haut, une meilleure lecture de jeu et j’ai beaucoup progressé en défense. Aujourd’hui, je peux aussi m’écarter et jouer en ailier fort, je suis capable de poster mais aussi de poser la balle à terre. Je suis maintenant plus un intérieur passeur à la JK Edwards (ancien pivot référencé de Jeep Elite) : j’utilise ma menace au scoring pour faire briller les joueurs autour de moi. » Après une première saison réussie, la deuxième est plus compliquée (6,71 points, 4,24 rebonds en 18 minutes). « La différence entre ces deux années, c’est qu’on n’a pas réussi à trouver la même énergie collective. Des joueurs sont partis et ils ont laissé un grand vide. Puis, on était plusieurs à ne plus avoir le même état d’esprit, moi le premier. En attaque, je suis devenu plus égoïste pour briller et trouver plus facilement un contrat à la fin de l’année. J’en ai oublié que le collectif doit primer sur l’individuel. »
La découverte du continent africain
« À la fin de la saison, j’étais un peu frustré, car je voulais décrocher la récompense du meilleur jeune de la division, mais, pour la première fois de l’histoire de la NM1, on la décerne à un étranger (Gregory Prior). Je me voyais repartir sur un projet NM1 ou Pro B, mais avec seulement certaines conditions. Je devais être trop exigeant car, fin juin, j’étais toujours sans club et sans vraies pistes. » Heureusement pour lui, la sélection marocaine va lui ouvrir une autre voie. « Pendant ma deuxième année à Souffelweyersheim, on m’avait contacté pour jouer avec l’équipe du Maroc. J’avais plein d’exemples en NM1 qui me donnaient envie, par exemple Lamine Sambe avec le Sénégal. Je me rendais compte qu’on pouvait jouer en NM1 et représenter son pays. À cette période, je jouais mes premiers matchs officiels en équipe du Maroc. Personne ne me connaissait et le poste 5 titulaire, Soufiane Kourdou, un des meilleurs poste 5 du continent, se blesse. Le coach est obligé de me faire confiance. Quand je suis sur le terrain, on bat l’Angola et le Congo puis, on perd contre l’Egypte.» Lors de ces matchs, face à trois des meilleures équipes du continent, Adam se démarque, notamment avec une performance à 16 d’évaluation en 27 minutes face à la RDC. « Après ces matchs, un ami m’explique qu’il y a un gros club au Maroc, l’AS Salé, qui est Champion d’Afrique et qui est intéressé par mon profil. En y réfléchissant, je me dis que c’est plus intéressant que de la NM1, car c’est diffusé sur les premières chaînes d’information et, en plus, je jouerai des compétitions continentales. »
Le basketball a une place forte dans la culture sportive marocaine. « Dans les années 90-2000, le basketball était le deuxième sport national au Maroc. Les marocains sont de grands fans de NBA et de culture hip-hop. C’est aussi un sport beaucoup joué en université, il y a une vraie fanbase. Mais, les problèmes récents au sein de la fédération ont fait baisser la popularité de ce sport. En fait, depuis que je suis arrivé, à cause de problèmes internes, il n’y a jamais eu de championnat marocain ! » De fait, son équipe ne pouvant pas jouer de compétitions nationales, il dispute uniquement des compétitions internationales. « À l’AS Salé, on a joué le championnat arabe des clubs au Liban, qui dure un mois, puis le tournoi Saad El Hariri, le premier ministre libanais, qui regroupe aussi les meilleures équipes du monde arabe. Ensuite, on a disputé le tournoi internationale de Dubaï en février et la FIBA Africa Basketball League (qui devient cette année la Basketball Africa League avec le soutien de la FIBA et de la NBA), où on perd en finale face à l’équipe angolaise, Primeiro de Agosto, qui a un jeu très structuré, à l’européenne. En plus, je jouais aussi avec la sélection marocaine les qualifications pour la Coupe du Monde. » En terme d’infrastructures, Adam est rapidement séduit. « On avait notre salle, une salle de musculation et un spa avec notamment une piscine, on avait accès à l’ensemble 24 heures sur 24. On a eu un staff technique assez irrégulier à l’AS Salé, car on a changé trois fois de staff technique dans la saison, mais on avait aussi un préparateur physique et un kinésithérapeute à plein temps. Je gagnais plus que ce que je gagnais en NM1, dans un pays où la vie est bien moins chère, donc j’avais de très bonnes conditions de vie. Après, le club avait des problèmes de gestion, donc c’était pas très carré, mais jouer là-bas c’était fou, une vraie expérience, car il y a énormément de personnes aux matchs. Après, comme cela reste le Maroc, je ne pense pas qu’on puisse avoir de chiffres officiels sur le nombre de personnes qu’il y avait réellement dans la salle. Aucune structure en France n’a une fanbase digne des supporters marocains. Ils n’ont pas de limite, c’est incroyable, ils peuvent mourir pour leur équipe. » À son arrivée, il est aussi agréablement surpris par le niveau de jeu. « Au début, quand j’ai dit à mes amis que j’allais au Maroc on m’a dit : « Mais qu’est-ce que tu fais ?! Tu vas t’enterrer ! » En fait, je ne m’attendais pas à ce que le niveau soit aussi relevé. Si je devais comparer à la France, mon équipe était du niveau d’une équipe milieu-top niveau Pro B, car les étrangers sont d’un très haut niveau et je jouais qu’avec des internationaux marocain. » Sans la nationalité marocaine, cela aurait même été compliqué pour lui de jouer à ce niveau vu le pedigree de ses coéquipiers étrangers. « En début de saison, notre meneur titulaire c’est Will Salomon (ancien joueur NBA, passé aussi par les Sharks d’Antibes, qui a aujourd’hui 41ans). Je jouais contre Walter Hodge (ancien joueur de l’ASVEL, évoluant maintenant à Al Wehda, en Arabie Saoudite), Lamar Odom (ancien joueur NBA des Los Angeles Lakers) ou Nate Robinson (ancien joueur NBA des New York Knicks). En France personne ne le sait ça ! Le jour où je suis arrivé à Dubaï , je me suis assis et je me suis retrouvé à discuter avec ces joueurs… C’est ce jour où je me suis dit que j’avais vraiment pris la bonne décision ! Je serais sûrement resté en NM1 ou en Pro B, des championnats où il n’y a pas de médiatisation et là je me retrouvais comme une star. Au Maroc, je suis aujourd’hui vu comme un des plus grands espoirs du pays, en France, je suis considéré comme une seconde rotation intérieure de NM1.
La vision différente du basketball en Afrique lui permet aussi de davantage s’exprimer. « Le jeu est beaucoup moins structuré et beaucoup plus physique. C’est énormément basé sur du jeu rapide, les coachs n’arrivent pas à imposer leurs systèmes. Il y a en revanche des potentiels athlétiques extraordinaires partout en Afrique. À l’AS Salé, ils ont par exemple un arrière de 2m08 qui a 20ans (Mohammed Chaoui). » En dehors des terrains, l’organisation est aussi complètement différente. « Pour être un bon joueur en Afrique, il faut avoir une grosse faculté d’adaptation, c’est ce qui permet d’ailleurs aux américains de très bien jouer ici. Lors de nos déplacements, c’est parfois compliqué. Par exemple, en allant au Nigéria, on se déplace en avion trois-quatre jours avant le match, mais, une fois sur place, il n’y a rien de pris en charge, on doit se débrouiller nous-mêmes avec la dotation du club. Chaque déplacement c’est une culture différente et chaque culture à son propre rythme : on doit constamment s’adapter. Par rapport à l’Alsace, où chaque déplacement était réglé comme du papier à musique, c’était une claque. En Angola, on a dû faire par exemple une liste impressionnante de vaccins deux semaines avant le déplacement, sans même savoir si une fois sur place on aurait un hôtel. La semaine d’après, on se retrouvait à Dubaï, dans un cadre paradisiaque. Au Nigeria, j’ai aussi vu des joueurs pratiquer un très bon basket sur un terrain sans parquet et avec des paniers cassés. C’était abusé, sans sauter on pouvait dunker, c’était du n’importe quoi. Le commissionnaire de la FIBA nous avait dit que, vu qu’il n’y avait que ça, on était obligé de jouer. Pour être bon en Afrique, il faut que ces contextes n’aient pas d’impact sur ta performance. »
Après la découverte, la conquête ?
« Je suis rentré en France en début de saison dernière, pour me rapprocher de ma famille. J’ai rejoint l’équipe de Marseille en NM2. Au début, cela a été compliqué de descendre de mon nuage. Je voyais que j’étais régulièrement sollicité au Maroc médiatiquement, je venais de jouer les plus grandes compétitions continentales et je me suis rendu compte que le maximum que je pouvais avoir sur le marché français c’était de la NM2… Mais, cela s’est très bien passé là-bas. Une fois mon problème familial réglé, j’ai essayé de retourner au Maroc. Je remercie d’ailleurs le président de Marseille qui a compris et m’a laissé partir pour avoir une situation stable pour ma famille. »
Il décide, en début d’année, de s’engager pour le Fath Union Sport de Rabat, un des clubs les plus populaires au Maroc. « Le FUS de Rabat a un projet dans la durée. On a réussi à se regrouper avec les meilleurs jeunes marocains disponibles, notamment Mohamed Choua (2m02, 27 ans), qui est le meilleur jeune marocain et un des meilleurs joueurs du continent ! Il y a aussi un ami à moi, Reda Harras (1m98, 26 ans), nous sommes tous les trois internationaux. On a beaucoup d’ambition, on veut créer un club sur la durée. Le championnat marocain devrait reprendre la saison prochaine. En comparaison avec les autres compétitions que j’ai cité, c’est plus faible. On a envie de battre l’AS Salé, qui règne sur le basketball marocain depuis dix ans. On aura aussi le derby le plus intense du Maroc face aux rivaux du FAR, qui représente l’équipe de la force armée et nous l’équipe du roi. J’ai hâte de le jouer. Notre objectif, sur le court terme, c’est la coupe du Maroc et le championnat puis, à terme, jouer la Basketball Africa League et triompher sur le continent. »
Aujourd’hui, Adam est ravi du choix qu’il a fait il y a deux ans. « En fait, cette expérience m’a fait réaliser qu’il y a plein de cultures basket dans le monde entier. En France, on a l’impression que si on sort du cadre français on va se noyer alors que pas du tout ! Partout on peut jouer professionnellement au basket. On n’a pas besoin d’être en Jeep Elite pour vivre du basketball et jouer dans une top league. Je pense qu’aujourd’hui les jeunes français ils commencent petit à petit à comprendre ça. Avant de tenter sa chance, je conseille tout de même de se renseigner et de bien s’entourer, mais si des joueurs ont une chance de jouer la BAL, il faut foncer : c’est une expérience extraordinaire ! »
Crédit Photo : FIBA