Portraits

Luidgy Laporal, de la Soufrière au Mont Davis

Luidgy Laboral Basketteur

Comme chaque année, un hiver rugueux frappe l’université catholique de Saint Francis, située en plein coœur de la Pennsylvanie. « Je me trouvais au milieu de nulle part, entouré par la forêt. La météo était très dure, cela pouvait tomber à des -20°C très facilement, c’était un des aspects les plus compliqués à gérer. » Luidgy Laporal, un colosse de deux mètres six et pivot des Red Flash, l’équipe de basketball de l’université, bat le blizzard pour se frayer un chemin vers sa salle d’entraînement. Trois mille kilomètres plus au sud, avec quarante degrés d’écart, c’est pourtant dans la ville tropicale de Petit Bourg qu’il a grandi. C’est ici qu’il a découvert le basketball, faisant ses premiers pas sur les terrains bitumés de la Basse-Terre à ses douze ans. Vite, il bénéficie d’un désistement pour intégrer le Pôle Espoirs guadeloupéen. Fort rebondeur, avec un jeu dos au panier intéressant, il se démarque jusqu’à avoir l’opportunité de traverser l’océan Atlantique pour rejoindre la métropole afin d’intégrer l’INSEP (l’Institut National du Sport, de l’Expertise et de la Performance) en 2010.

Déracinement et blessure : des débuts compliqués, avant une éclosion en Alsace

Cette arrivée à Paris est un changement de vie brutal pour le jeune Luidgy. « Je suis arrivé en métropole à 15 ans. Les deux-trois premiers mois étaient assez difficiles. La métropole, c’est très différent de la Guadeloupe, puis, sans ma famille j’étais seul, même si on était bien encadré. Le rythme de vie à l’INSEP était très intense. On commençait les cours à 7:45 jusqu’à 10:30, ensuite entraînement jusqu’à 12:00. On mangeait, puis on reprenait les cours à 14:00, de nouveau entraînement l’après-midi et enfin étude. Au début, c’était fou, mais au fur et à mesure on s’habitue. Heureusement, j’ai un ami, Damien Inglis, qui m’a accompagné pendant mon parcours à l’INSEP, nous sommes toujours en contact. » Pendant ces trois années, il évolue avec d’autres personnes passées par l’Alsace : les SIGMen Boris Dallo, Mouhammadou Jaiteh, Hugo Invernizzi, Olivier Cortale et Yannis Morin, ainsi que l’ex-griesois Ywen Smock. Finalement, sa première année se passe bien, mais, au début de la seconde, il se blesse gravement. « Quand j’ai débuté en NM1, j’ai connu une blessure de fatigue au pied qui m’a immobilisé un an. Reprendre à ce niveau a ensuite été compliqué (3,47 points, 2,59 rebonds en 18,1 minutes). Avec du recul, c’était une expérience positive, mais j’ai essentiellement fait de la rééducation pendant ces trois ans. »

« À la fin de mon cursus de trois ans à l’INSEP, je devais choisir un centre de formation. La SIG Strasbourg était le projet le plus sûr. Je ne connaissais pas du tout l’Alsace. Finalement, c’était une bonne surprise, j’ai beaucoup aimé la ville, je ne pensais pas que Strasbourg était aussi développée. Le fait de changer de cadre m’a permis de me remettre en question et m’a donné de la fraîcheur. Quand je suis arrivé, j’étais encore en processus de rééducation. C’est mentalement que j’ai réussi à me relever de cette grave blessure. Je me fixais des objectifs saison par saison, étape par étape, avec une volonté de toujours améliorer mes performances. » En parallèle, il continue ses études, rencontrant les difficultés que connaissent beaucoup de sportifs de haut niveau au début de leur carrière. « Pendant la première année, j’ai voulu suivre un BTS en Management des Unités Commerciales par correspondance au CNED.  » Mais, habitué à avoir un cadre en dehors des entrainements pour étudier, ce format ne lui correspond pas. Se retrouvant soudainement livré à lui-même, il arrive à une situation d’échec… avant de connaître un déclic. « Entre mes deux saisons en Espoirs, j’ai fait un camp de basket aux États-Unis pendant un mois à Los Angeles. Cela m’a beaucoup aidé. Suite à ce camp, je me suis fixé l’objectif de partir à la fin de l’année aux États-Unis. »

« La deuxième année, j’ai surtout travaillé mon anglais en dehors des terrains. J’ai beaucoup travaillé physiquement avec Terrick (Terrick Nerome, ancien préparateur physique de la SIG Strasbourg). Il s’est rendu compte qu’on voulait tous travailler la seconde année, il nous a proposé des séances supplémentaires, cela m’a beaucoup apporté. J’ai aussi beaucoup travaillé mon jeu dos au panier avec Lauriane (Lauriane Dolt, ancienne coach de l’équipe Espoirs de la SIG Strasbourg), notamment mes hooks (bras roulé). C’est eux qui m’ont permis de prendre confiance en moi, surtout Lauriane qui m’a permis de véritablement m’affirmer. » Une seconde saison synonyme de réussite collective pour l’équipe alsacienne, qui termine première de la saison régulière de son championnat. « C’est la meilleure année que j’ai connue. En espoirs, j’étais avec Cédric Bah, Xavier-Robert François, Damien Bouquet et Anthony Labanca. Frank Ntilikina venait aussi de passer avec nous. La saison était belle car on était tous en confiance et on était un groupe très soudé. On était tous amis. Cédric est d’ailleurs devenu un de mes meilleurs amis, on est toujours en contact, on vivait ensemble à Schiltigheim pendant cette période. Des professionnels m’ont aussi marqué à cette époque : Jérémy Leloup, un très bon shooteur, Ali Traoré, qui était une très belle personne en dehors du terrain et j’étais fasciné par ses mains. Il avait des hooks, c’était formidable. Sur ma première année, il y avait aussi David Andersen. À son âge, tout le travail qu’il faisait, tous les jours avec ses routines, c’était impressionnant. On voyait ce que c’était qu’être professionnel. » Pour couronner cette belle saison collective et individuelle (8,2 points, 7,3 rebonds, 10,9 d’évaluation en 24 minutes), Luidgy est même présélectionné en Équipe de France U20 « c’était une vraie récompense, cela m’a démontré que j’avais le potentiel. »

L’aventure étasunienne : du Junior College à la NCAA

« Si c’était seulement d’un point de vue basket, j’aurais fini mon cursus en France, cette décision était motivée par l’idée de suivre un double cursus. Mes études en France ne marchaient pas trop… À la fin de ma première année à la SIG Strasbourg, quand j’ai découvert les universités américaines, j’ai trouvé ça extraordinaire. Pouvoir étudier dans ces conditions, toujours en jouant au basket, c’était parfait… mais partir aux États-Unis ce n’est jamais facile ! Grâce à un ami de ma famille, nous avons pu trouver un Junior College qui ne demandait pas d’avoir eu le TOEFL et qui me permettait de rattraper mon retard. » Luidgy intègre ainsi Harcum College en 2015 avec une bourse sportive. Dans la banlieue ouest de Philadelphie, il suit pendant deux ans un Associate degree en Management (l’équivalent américain d’un BTS) et incorpore les Ours, l’équipe de basketball, qui évolue en NJCAA (le championnat américain des Junior College). « Je vivais sur le campus de l’université. Au début c’était vraiment dur. Je n’étais pas très fort en langue, j’étais complètement perdu par la façon dont ils parlaient. À partir du second semestre, je me suis amélioré en anglais et ensuite c’est allé mieux pour moi. Sportivement, les entraînements étaient plus intenses qu’en Espoirs. Je n’étais pas du tout au-dessus. Le coach ne me faisait pas confiance, donc je ne jouais pas beaucoup en match. C’était un très gros changement. Après la très belle saison que je venais de vivre, cela m’a remis les pieds sur terre et j’ai compris qu’il fallait que je continue de travailler. En NJCAA, c’était encore un autre niveau par rapport à ce que j’avais connu à la SIG Strasbourg ! »

La NJCAA est réputée aux États-Unis pour être le championnat de la dernière chance. Pour de nombreux athlètes américains, il s’agit de la dernière possibilité pour intégrer une université et la NCAA, passage quasiment obligé pour devenir basketteur professionnel. La compétition y est donc très rude. « Comme la première année avait été compliquée, pendant l’intersaison je m’étais mis en tête que la deuxième saison j’allais m’affirmer. Je suis allé à Los Angeles un mois et je me suis préparé comme un fou. J’ai sacrifié des vacances en Guadeloupe pour me préparer. J’ai commencé à comprendre la mentalité des États-Unis. Quand je suis arrivé la deuxième saison, j’étais là pour gagner ma place et c’est ce que j’ai fait. Par mon travail, j’ai fait changer d’avis mon coach. C’était important car à la fin de l’année, comme j’étais en Junior College, j’allais devoir trouver une autre fac pour mes deux prochaines années. » Luidgy termine sa seconde saison en trombe (10 points, 7,45 rebonds en 21,5 minutes) et décroche son diplôme. Cette belle saison sportive lui ouvre la voie de l’université et de la NCAA. « Deux universités se sont positionnées : les Saint Francis Red Flash et les Robert Morris Colonials. Je suis allé visiter les installations des deux universités, mais j’ai vite fait mon choix car j’ai bien aimé le côté familial de l’université de Saint Francis. C’était plus petit, tout le monde se connaissait. Les vestiaires étaient plus perfectionnés que ceux de la SIG Strasbourg ! Là-bas je me sentais comme un professionnel. »

Son aventure à Saint Francis commence mal. Suite à un imbroglio juridique avec la NCAA, il vit une première saison blanche au sein des Red Flash, ce qui le force à se concentrer sur ses études. La seconde saison, après une année sans compétition officielle, il peut enfin découvrir le niveau de la NCAA. « Je m’étais habitué au niveau américain mais c’était encore un niveau au-dessus en termes d’intensité. À cause de ce problème avec la NCAA, je n’ai pu jouer qu’une saison. J’ai pris un coup car je voulais jouer les deux. Cela m’a laissé un goût d’inachevé car, souvent pour moi, la première saison c’est une saison d’adaptation. » Luidgy a surtout un rôle de rotation dans l’effectif (4,45 points, 3,36 rebonds en 14,4 minutes), les intérieurs se démarquant dans sa conférence ayant des profils différents. « C’était des gabarits très vifs, mobiles, qui arrivaient à courir et à contre attaquer très vite. » Au terme de la saison, son équipe termine deuxième de la Northeast Conference (NEC) devant… les Robert Morris Colonials. Scolairement, il termine son aventure outre-Atlantique en réussissant son objectif de départ : il obtient son Bachelor en Management et est diplômé en 2019 de l’université de Saint Francis.

Son passage au monde professionnel : une première expérience réussie au sein du GET Vosges

« Après mon expérience aux États-Unis, je voulais passer professionnel. Je souhaitais rentrer en Europe, spécialement en France. Je visais un endroit où je pouvais jouer pour m’affirmer. » À la différence de ses récents coéquipiers, Luidgy ne démarrera pas sa carrière professionnelle par un championnat exotique. Pendant que Jamaal King fait ses premières armes au Chernomorets Burgas, dans les bas-fonds du championnat bulgare, et Andre Wolford au KB Ponte Prizren, dans le ventre mou du championnat kosovar, lui a l’opportunité de signer au GET Vosges en NM1. 

« Cette saison j’étais uniquement concentré sur le basket. En terme de style de vie, Épinal c’était complètement différent des États-Unis. Niveau infrastructures, entre la NCAA et la NM1, c’est deux mondes différents. Aux États-Unis, il y avait des kinésithérapeutes à plein temps, des bains froids… En NM1, il faut bien plus se responsabiliser. Niveau basket, la NM1 c’était encore un niveau au-dessus, c’était bien plus physique que la NCAA.» 

Cette première saison professionnelle s’avère réussie pour Luidgy qui devient un des meilleurs rebondeurs français du championnat de NM1 (8,38 points, 6,15 rebonds en 19,6 minutes). « J’étais le sixième homme, je jouais en rotation de Mutlu Dumir (intérieur franco-turc expérimenté de 32 ans), mais j’avais plus de temps de jeu et j’étais responsabilisé. J’ai progressé mentalement pendant cette année. » Individuellement, il fait partie des trois jeunes satisfactions de l’effectif avec Matthieu Missonnier (né en 1997, formé à l’Elan Chalon, 15,2 points, 4,5 passes décisives, 3,3 rebonds et 2 interceptions en 25,7 minutes) et Shekinah Munanga (né aussi en 1997, passé par le Limoges CSP et l’AS Monaco, 14,6 points, 7,8 rebonds en 26,3 minutes). Collectivement, les vosgiens obtiennent leur maintien, mais la deuxième phase du championnat ne peut pas se dérouler à cause de la crise sanitaire. « C’était une très bonne saison pour moi : on a réussi l’objectif du club et j’ai pu montrer ce que je savais faire. Je suis juste un peu déçu que cela se finisse comme ça, on aurait peut-être pu se qualifier en playoffs. »

Actuellement dans l’expectative, il attend sa prochaine saison avec impatience. « Je n’étais engagé que pour une saison à Épinal, maintenant je regarde les propositions. » Habitué à passer chaque saison un cap, il se projette déjà sur le prochain sommet à gravir. « Mon objectif serait d’accéder à la Pro B, mais, surtout, j’ai envie d’aller dans un endroit où on me donne des responsabilités. Si je dois partir en Pro B sans responsabilités, je préfère autant rester en NM1 pour m’affirmer. » Conscient de ses forces, il souhaite continuer à travailler sur son point fort, « le rebond, car c’est ce qui me différencie des autres », tout en ayant détecté ses axes d’améliorations « surtout, je dois être plus régulier mentalement, cela passe par le travail aux entraînements et la confiance accumulée en matchs. »

Crédit photo : Franklin Tellier / SIG Strasbourg

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